mardi

Flash-back

Après avoir "raccroché" d'avec Arno, le silence envahit l'appartement. Je suis mal à l'aise. J'ai envie de revenir sur mon passé, sur mon histoire. Pour comprendre.

J'écris mon histoire, mais comme pour mieux l'analyser, je l'écris comme si je n'en étais que le spectateur, mon histoire vue du dessus, un peu comme ces expériences de "vie après la vie" que racontent parfois ceux qui ont vécu un coma.

Ce soir là, il fut bien obligé de s'avouer à lui-même qu'il avait passé un cap.
En le retrouvant sur un chat, il ressentit une incompréhensible bouffée de jalousie. De quel droit ?

Zoom arrière

Il était arrivé à Paris pour ses études, à la toute fin des années 70. Comme ça paraît loin quand c'est écrit, comme ça paraissait hier seulement dans sa tête. Giscard était encore Président en France, L'Union Soviétique avait envahit l'Afghanistan.

Une première année de liberté, ne pas avoir à rendre de comptes sinon à lui-même.

La tête dans les nuages, il rêvassait sa vie plus qu'il ne la vivait vraiment. Aucun projet qu'il ne considère comme réaliste, tiraillé entre ses envies profondes et la prison sociale dans laquelle il s'était laissé enfermer. Se laisser porter. Ne pas faire de peine. Ne pas sortir du rang. Ne pas sortir la tête de l'eau.

Avoir 20 ans en 1980... Ses attirances lui faisaient peur.
Quelques années auparavant, il avait pourtant eu un comportement assez libre avec certains de ses cousins, jusqu'à ce que l'un deux lui dise un jour "faut qu'on arrête sinon on va devenir pd". c'était en colonie de vacances, ils avaient 14 ans, ils étaient allés - un peu - plus loin que d'habitude. Cette phrase l'avait glacé.



Encore plus tôt, petit garçon, il n'avait jamais aimé jouer avec ses camarades dans la cour de récré, au gendarme et au voleur par exemple, ou aux cow-boys et aux indiens. Dans ce dernier jeu, il se souvenait très clairement qu'il n'avait qu'un objectif, être le premier "mort", pour qu'on le mette de côté et qu'on le laisse tranquille.

Avoir 20 ans en 1980... Il avait à la fois envie et peur du sexe.
Alors que ses copains s'affichaient pratiquement tous avec une copine, lui restait désespérement seul, s'inventant parfois une histoire pour ne pas se faire charrier. (oui mais bon je peux pas encore vous la présenter). Restaient les fantasmes. Là il était assez fort. Avec à chaque fois un goût amer dans la bouche et un sentiment de solitude extrême.

Ce caractère et ce comportement un peu mystérieux étonnaient et tranchaient par rapport "aux autres". Aussi, quelques filles s'intéressèrent à lui. Il était tellement moins lourd que les autres... Des garçons aussi mais il jouait tellement bien son personnage qu'il ne voulait pas les remarquer. Ces filles prirent donc des initiatives, et il ne dit pas non. Par curiosité et aussi parce qu'il ne voulait pas faire de peine. La plus décidée, peut-être la plus subtile, parvint donc à ses fins. Ce soir là, il alla chez elle comme on va au tribunal se sachant condamné mais soulagé par avance de la sentence. "Au moins ce sera fait...". Dire qu'il n'y prit pas de plaisir est faux. Et de fait, cela le libéra d'une certaine façon. Sans l'empêcher de poursuivre ses auto-fantasmes.

L'une de ses copines de l'époque compta plus que les autres. Ils étaient ensemble à l'école, elle s'était mise à faire un peu d'escalade comme lui, sans doute pour lui faire plaisir. Ses parents avaient un sublime appartement à Paris et une très belle maison en Italie, face à l'Ile d'Elbe où ils passérent une semaine de rêve en 1985. Il aimait vraiment se retrouver avec elle. Mais sans comprendre vraiment pourquoi, il décida de rompre. Comme ça, sur un coup de tête. En fait si, il savait, mais il avait honte de ces raisons. Sa famille était tellement différente, qu'il crût - et sans doute avait-il raison - qu'elle ne s'entendrait jamais avec la sienne. Et alors ? Le père était "homme d'affaires" italien, sans que cela ne fut jamais très clair, sa mère psy, plutôt intello de gauche. Adorables. Par comparaison, sa propre famille lui paraissait triste comme un puit sans eau. Et pourtant il prit cette décision pour ne pas risquer le conflit. Une non-décision d'ailleurs. Lâchement, il décida de ne plus la voir, sans explication. Elle finit par lui dire "de toutes façons je sais que j'aurai plus compté pour toi que tu n'auras compté pour moi". C'était vrai. Il mit des années à s'en remettre.

Quand ses copains se marièrent les uns après les autres, il décida de le faire aussi. Cela "tomba" sur une amie d'enfance de la femme d'un de ses meilleurs copains. Pleins de faux hasards se conjuguèrent à cette occasion. Un cas d'école pour psy... Son alliance ? Ce fut celle de son père mort au combat en Algérie. Même pas refondue. Avec la date de son mariage aux côtés de celle de ses parents, toute serrée, toute petite. Le jour de ses fiançailles ? La date anniversaire de la mort de ce même père qu'il n'avait pas connu, juste 30 ans après. Il voulut un enfant. Vite. Ce furent deux fausses couches. Et le non-dit qui s'installa dans son couple. Plus envie d'elle. Trop envie de passer à autre chose. Quand les choses allèrent trop mal, son épouse voulut qu'ils voient ensemble un psy. Pour comprendre. Pour essayer d'aller mieux, même si c'était séparément. Un jour, elle lui demanda s'il ne préférait pas les hommes. Une autre fois, c'est le psy qui lui suggéra de réfléchir à ça : s'il avait épousé une des meilleures amies de la femme d'un de ses meilleurs copains, c'était peut-être de ce copain dont il voulait se rapprocher... Encore une fois il rejetta en bloc ces hypothèses.

Après son divorce, il retrouva avec plaisir une période de célibat, pleine de fantasmes mais sans passages à l'acte. Une fois il franchit cependant le pas. Un garçon avait su lui proposer un rendez-vous sans rien exiger d'autre de lui qu'il se laisse simplement faire, pour un super massage, juste un moment de détente. Il fut surpris quand ce garçon très doux se mit à le sucer avec beaucoup de délicatesse, lui procurant un plaisir auquel il ne s'attendait pas. Mais il n'eut cependant pas envie d'aller plus loin.

Un peu plus tard, il fit la connaissance d'une femme qui sortait avec un de ses copains. Pour la première fois, il eut vraiment envie d'une fille. Parce qu'elle sortait avec un de ses copains ? Peut-être mais pas seulement. Il attendit que les deux se séparent pour se rapprocher d'elle. Au début, tous les trois adoraient jouer l'ambiguité de la situation, laissant croire à ceux qui les connaissaient mal qu'ils étaient vraiment tous les trois ensemble.

Parallèlement, ses fantasmes continuaient. Internet leur permettaient de prendre un semblant de corps. Un jour, il croisa un garçon sur un chat. Il ne sut pas pourquoi, mais il pressentit qu'il se passait quelque chose. Pour la première fois, il n'eut plus envie de jouer. Ils se rencontrèrent une fois, deux fois, puis d'autres. De façon très chaste, un peu ambigüe quand même. Des incompréhensions, mais une proximité. De la distance mais une envie d'apprendre, de découvrir. Apprendre à savoir dire non, apprendre à pouvoir dire oui...

Deux mois après leur première rencontre, une première sorte de séparation due aux vacances scolaires. Et ce soir là, il le retrouva sur un chat. Un sentiment complexe le saisit. Plaisir de le retrouver mais jalousie de le retrouver .

Mais pas une jalousie envers ceux avec qui il discutait peut-être. Il comprit qu'il était jaloux des 20 ans qui allaient s'ouvrir devant ce garçon qu'il avait appris à connaître. 20 ans à venir pas forcément plus faciles ! Mais différents. Il aurait voulu être lui, recommencer. Autrement. Mais la vie est une ligne droite, pas un cercle.



---------------------------------------------

Tu sais Arno, tu m'as dit plusieurs fois que tu ne savais pas trop dire non, que tu ne te respectais pas toi-même. Il faut savoir dire non. C'est vrai. Mais il faut aussi savoir dire oui.

Je t'embrasse

Après avoir écrit ce long texte, j'hésite à l'envoyer à Arno Je n'ai pas à l'encombrer avec mes histoires. J'hésite et je finis par cliquer sur "envoyer". Il me comprendra mieux.

Aucun commentaire: